2012, cinq jours avant l'attaque massive.

«  Lieutenant-Colonel Léon Archibald Hannibal, né le seize avril mille neuf cent quatre-vingt-trois à Alexandria en Louisiane, ici pour un diagnostic psychologique suite à une mission des forces spéciales américaine en Afghanistan. »  Confortablement installé dans le sofa du psychothérapeute, je l’observe enclencher son dictaphone avant de prononcer ces quelques mots, brève présentation de ma propre personne. Un bras calé sous la tête, je tourne le regard vers le plafond en soupirant. Si il y a bien une chose qui m’exècre dans ces missions, c’est bien le retour au bercail où chaque militaire doit suivre ou plutôt être suivit par un psy à la noix. Comme si entrer dans notre tête allait changer quoi que ce soit à notre existence, ou allait l’améliorer. C’est de l’arnaque, un véritable charlatan qui passe ses journées à écouter les déboires, les chagrins, les pleures des gens tout en s’en mettant pleins les poches. Si ça ne tenait qu’à moi je passerais mon tour, ayant des choses bien plus importantes et surtout intéressantes à faire. « Parlez-moi un peu de votre enfance ». Je soupire, exaspéré. Un nouveau psychothérapeute, ce qui veut irrémédiablement dire qu’il faut tout reprendre à zéro. « Vous n’avez qu’à lire mon dossier » dis-je sèchement. Evidemment je sais que ce tour de passe-passe ne fonctionnera pas, ce serait bien trop beau. Parler de mon passé est quelque chose que j’évite au maximum, n’aimant pas me rappeler mes actions passées et les douleurs encore trop présentes. On me répète sans cesse que lâcher ce qu’on a sur le cœur ne peut que faire du bien, une véritable source de soulagement. Baratin ! J’en suis passé par là et je ne me sens pas mieux pour autant, au contraire. Cela me rappelle ce que j’ai perdu, mes fautes. « Je l’ai lu mais je veux que ce soit vous qui me racontiez votre histoire » Oui évidemment, des fois que des détails croustillants lui aient échappé. Je hausse les épaules mollement, m’avouant un peu vaincu. Je ne peux y couper. D’une voix lasse et morne, je lui compte ces quelques mots en espérant qu’il s’en contentera « Mon père, soldat de l’armée Américaine est mort au combat l’année de mes quinze ans. Ma mère s’est suicidée suite à sa disparition, nous laissant mon frère et moi-même seuls. Nous avons été séparés, allant chacun de notre côté dans une famille d’accueil » Ces mots sortant de ma bouche agissent comme un rouleau compresseur, écrasant un peu plus mon cœur bien trop oppressé dans sa cage thoracique. Ces souvenirs pourtant lointains semblent pourtant si présent, comme si les événements s’étaient produit la veille même. Me pinçant l’arête du nez en lâchant un profond soupire, je me redresse afin de me mettre face au psy, sans laisser paraître aucune émotion sur mon visage. « Et qu’avez-vous ressenti à la mort de vos parents ? » Le bonheur, connard ! Non mais franchement il en a d’autres comme celle-là ? A son avis qu’est-ce qu’on peut ressentir quand vos parents font passer tout le reste avant leurs propres enfants, ignorant ce qu’ils peuvent éprouver face à ce rejet. Mon père vouait sa vie aux Etats-Unis, toujours partie en mission on le ne voyait que trop rarement. Le patriotisme qu’il disait, son pays était son plus grand amour oubliant de ce fait sa propre famille, qui passait que trop souvent en second plan. Nous, ces propres enfants n’avions finalement aucune importance et celle qui aurait pu combler ce manque paternel, passait son temps à pleurer son très cher mari absent. Notre mère l’aimait, d’un amour incommensurable à la limite de l’aveuglement. Il ne le lui a jamais rendu mais elle semblait pourtant s’en contenter. A la mort de celui-ci, c’est inévitablement qu’elle a sombré dans une profonde dépression dont elle ne semblait pouvoir s’en sortir. Pour cause, elle a mis fin à ses jours en utilisant l’une des armes de notre paternel.
Je baissais les yeux, sourcils froncés, en repensant à ces mauvais souvenirs. « De la colère » dis-je instantanément, sans même vraiment m’en rendre compte. Oh oui je les haïssais pour nous avoir lâchement abandonné, nous laissant seuls face à la dure réalité de la vie. Parfois j’en viens même à penser que finalement ils ne nous ont jamais aimé, nous, leur propre sang. Ils ont agis égoïstement sans penser une seule seconde à notre avenir, ce que cette perte pourrait nous affliger et le tourbillon de tourments dans lequel cela allait nous plonger. Ou plutôt me plonger. A l’époque la colère faisait partie intégrante de ma personne, je leur en voulais… j’en voulais au monde entier. J’ignorais ce qui pouvait advenir de mon petit frère, et malgré la promesse de le protéger envers et contre tout, je ne m’en suis jamais soucié. La colère m’aveuglait et tout ce qui me calmait un tant soit peu, c’était de cogner encore et encore. Je me bagarrais, bon sang je me bagarrais sans arrêt. « Un sentiment qui vous a conduit tout droit en maison de correction, durant trois années » J’observe le psychothérapeute lire mon dossier et le commenter à haute voix, les lunettes pendues au bout de son nez. Waaah, il a deviné ça tout seul, on devrait lui décerner une médaille à ce crétin. Instinctivement je lève les yeux au ciel en me passant une main dans les cheveux que je laisse un instant en suspens, repensant à cette période chaotique. On ne me contrôlait plus, pas même moi. Aucune punition, aucun châtiment ne parvenait à me remettre sur le droit chemin. Ces années étaient les plus épouvantables de toute mon existence, égoïste à mon tour j’avais pris plaisir à me jouer des autres à leur dépend. J’étais presque cruel, vous savez le genre de mauvais garçon qu’il ne vaut mieux pas côtoyer car lui ne tombe jamais, mais vous oui à coup sûr. Je profitais des plus faibles, et jouais de mes poings sur les plus courageux qui tentaient de me faire tomber de mon piédestal. Rien ne semblait pouvoir m’assagir, et j’avoue n’avoir jamais fait aucun effort. On ne savait plus quoi faire de mon cas, moi-même j’ignorais alors ce qui allait advenir de ma vie future. Dealer ? Bandit ? Ou bien pire encore, un meurtrier ? Oui, c’est certainement ce que je serais devenue, si on ne m’avait pas une nouvelle fois forcé la main. « Comment avez-vous réagis face à la décision du juge ? On vous a enrôlé de force dans l’armée américaine en tant que soldat, comme votre père. » La différence c’est que le paternel s’était porté volontaire, et jusque-là je n’avais jamais vraiment compris cet engouement. Encore une question à deux balles, il faudrait être sacrément con pour ignorer la réaction que j’ai pu avoir lors de ce verdict. La colère, encore et toujours plus. On m’envoyant au front, là où mon père avait péris. On m’enrôlait de force pour un pays qui n’avait fait que me priver de mon père, de son affection de son amour. « A votre avis docteur ? Comment réagirais un gamin totalement perturbé qui rejette en bloc toutes autorités, et qui reproche à son pays de l’avoir privé de son père ? » Dis-je sèchement. Ma colère gronde au fond de moi, un désagréable relent d’amertume envahissant ma gorge. A l’époque j’étais con, oui bon je le suis encore parfois, mais si vous m’aviez connu durant cette période, ce qualificatif est même un véritable euphémisme. J’étais buté, une véritable tête brûlée. Je ne voulais pas ouvrir les yeux et il m’avait fallu un certain temps pour refréner mes ardeurs. Quand j’y réfléchis aujourd’hui, l’armée est ce qui m’est arrivé de mieux dans ma vie. J’avais un besoin vitale qu’on me reprenne en main, qu’on me contrôle totalement, qu’on me guide moi le pantin au cœur meurtri. Tout ce dont j’avais besoins était là, on prenait mes décisions à ma place, on m’en faisait voir des vertes et des pas mures et j’obéissais aveuglément. Et plus les années passaient, montant petit à petit en grade, je comprenais un peu plus le ressenti de mon père. Je l’ai hais tellement longtemps qu’aujourd’hui il m’est difficile d’avouer l’admiration que je lui porte. Pour autant je n’admets toujours pas son abandon, le rejet de ses enfants… nous ces fils. L’armée m’a sauvé de mon autodestruction. « Aujourd’hui, je leur en suis reconnaissant car qui sait ce que je serais devenu sans eux » Finis-je par avouer. Mal à l’aise je passe une main dans mes cheveux en m’affalant dans le sofa. A l’époque personne ne croyait en moi, j’étais un cas désespéré dont l’avenir était tout tracé. La prison. On m’avait offert une chance de rattraper mes erreurs, de devenir quelqu’un de bien ou du moins mieux que je ne l’étais. Et malgré le tournent positif qu’a pris ma vie depuis lors, il reste toujours une ombre tableau. Une personne que j’ai blessée profondément et trahie sans vraiment en prendre conscience. La seule personne qui comptait et qui compte à mes yeux, le seul membre de ma famille encore bien vivant. « Et qu’en pense votre frère ? » Merde, à croire que ce con lit dans mes pensées. Une question qui tombe à pic, à l’instant même où mes remords pointent leur nez. Je fronce les sourcils, en joignant mes mains l’une contre l’autre tout en les frottant, signe de mon mal être. Voilà maintenant près de dix ans que nos chemins ne se sont pas croisés, à vrai dire il m’évite comme la peste et je ne peux l’en blâmer. Après tout j’étais celui sur qui il comptait, qui lui avait fait la promesse de veiller sur lui et de le protéger envers et contre tout. Mais à ce moment-là, j’ignorais que la seule chose dont il fallait que je le protège, n’était autre que moi. Enfants, nous étions proches, comme les deux doigts de la main. Ne pouvant compter que sur nous même, notre lien fraternel était solide comme le roc, tout du moins nous le pensions. Alors que l’absence de notre père avait fini par me rendre presque indifférent, extérieurement en tout cas, mon frère bien plus fragile lui avait un besoin essentiel d’être soutenu et rassurer. J’étais son frère, son exemple, son meilleur ami, son héros. Mais mon autodestruction après le décès de nos parents ayant pris le dessus, je n’avais à l’époque pas même conscience de ma trahison envers lui, et de la souffrance qu’il avait pu ressentir. « Il ne m’a jamais pardonné » Soufflais-je, à bout de souffle comme si mon cœur ne pouvait plus en supporter plus. Une fois repris en main, j’avais tenté de me faire pardonner bien que je ne sois nullement excusable et tout ce que j’avais récolté c’était une bonne droite en pleine gueule et des insultes tout autant mérité. Je soupirais en prenant ma tête entre mes mains, le regard rivé vers le sol. Plusieurs minutes passèrent sans que l’un de nous deux ne disent mots puis lasser de cette mascarade je me redresse en tapant mes cuisses, me redressant dans la foulée. « Assez parlé de ma famille. La thérapie est fini » dis-je sèchement tout en me dirigeant vers la sortie, la liberté et loin de cette discussion qui me rend si mal. Mais ce ne fut pas au goût du psy qui m’interpelle aussitôt. «  Nous n’avons pas fini Monsieur Hannibal. Ne parlons plus de votre enfance si vous le souhaitez, ce n’était qu’une manière de faire connaissance dirons-nous. Parlez-moi de Nadia » Mon visage se vide de tout son sang en entendant son nom, sentant la culpabilité et la fureur m’envahir totalement. Je marque un temps d’arrêt devant la porte, dos tourné à l’homme qui ose prononcer ce prénom. Mon corps tremble sans que je ne puisse contrôler quoi que ce soit, et dans un excès de colère je me retourne vivement revenant ainsi sur mes pas, le regard emplie d’animosité. Furieux et brutal, j’attrape ce vieillard rabougrit par le col le soulèvement aussi aisément qu’une petite cuillère « JE VOUS INTERDIS DE PRONONCER CE NOM EN MA PRÉSENCE ! CETTE FILLETTE EST MORTE, JE L’AI TUE FIN DE L’HISTOIRE. IL N’Y A RIEN A DIRE, RIEN A ENTENDRE, QUE DALE, NADA ! N’EN PARLER PLUS JAMAIS, JE VOUS ARRACHERAIS LA LANGUE SANS REMORDS » grondais-je en crachant ma colère sur son visage, les yeux exorbités. Lâchant brusquement le psychothérapeute je fais volte-face les poings serrés sortant de la pièce en claquant la porte. Au fond je sais qu’à un moment donné on en serait venu à ce sujet, car c’était tout le but de la thérapie. Suite à notre mission en Afghanistan qui avait tourné tragiquement, il parait que j’avais besoins d’un suivi psychologique. Il n’y a rien à dire, j’ai dû faire un choix. Sauver une vingtaine de personnes en abattant de sang-froid une fillette âgé à peine de neuf ans.